En vous regardant, comme ça, on pourrait s’imaginer tout et n’importe quoi. Un couple d’amis qui partage une soirée. Un couple, tout simplement. Ou alors deux personnes qui se tournent autour. Certainement pas deux parfaits inconnus, en tout cas, encore moins deux « ennemis » que tout oppose. Et pourtant, aussi étrange que cela puisse paraître, c’est exactement ce que vous êtes, même que tu n’imagines pas encore à quel point une telle affirmation est vrai, Ana. Néanmoins, vous êtes tout de même tous les deux, au beau milieu de cette cuisine, toi dans sa chemise, les jambes à nu, pratiquement face à face et votre discussion est pratiquement banale, normale. Voilà que tu as le culot et la curiosité de t’intéresser à sa vie personnelle, maintenant, tu as l’air d’avoir cessé de te débattre, et pour le moment, c’est surement le cas pour dire vrai. Demain est un autre jour. C’est une chose que ta mère te répète sans cesse, et tu comprends aujourd’hui à quel point cette affirmation est vraie parce que, demain sera assurément différent. Demain, tu auras surement plus de marge, du moins, tu oses l’espérer.
Et bien entendu, il est libre de te répondre, ou pas. Tout comme tu continues de te réserver le droit de conserver bien des choses te concernant pour toi-même. Sauf qu’encore une fois, il vient te prouver à quel point vous êtes différents à bien des égards, parce qu’il se livre sans honte, et sans détour. Il vit seul, oui. Complètement seul et ce, malgré la taille de cette belle maison. Tu pourrais presque dire que c’est du gâchis, mais tu te retiens, parce que ce serait porter un jugement, et que tu veux éviter qu’il ne se permette d’en porter un nouveau sur toi. « Je fais juste la conversation. » Tu viens donc répondre, à sa question. Parce que finalement, c’est exactement ce que tu fais … tu es juste curieuse, alors pour toi, faire la conversation, ça consiste bien souvent à en apprendre plus sur les gens. Le jeu des questions et des réponses, c’est ton préféré, par contre, dans tous les cas, c’est toi qui poses les questions et non l’inverse, sinon, la tendance change. S’inverse. « Me plaire ? » Voilà que tu prends un air bien offusqué, maintenant, tu ne permets même un petit rire, pseudo moqueur, suivi d’un bruit de lèvres très enfantin – ça quand on te connait, c’est signe de malaise, heureusement, lui, il ne te connaît pas – et puis, tu lèves les yeux au ciel, en prime, encore, oui. « Ne soyez pas ridicule, vous n’avez pas grand-chose pour vous. » Difficile de dire si ce que tu affirmes là tends à être ironique, ou si tu essaies vraiment d’être agressive. Dans tous les cas, tu n’en penses pas un mot, malgré tout le mal que ça peut te faire de le reconnaître. Il faudrait être stupide pour avancer avec aplomb que cet homme n’a rien pour lui. Il a le physique, la carrure, la prestance, le charisme … d’autres diraient qu’il a le nom, aussi, la richesse, en prime, et une place de choix, mais ça. Détails.
Fort heureusement, il se détourne de toi assez vite pour servir les verres, qu’il rempli d’un vin bien rouge à la robe somme toute agréable à l’œil, et les assiettes. Enfin, alors que tu prends place, il vient s’asseoir, pour attaquer son verre. Il est divorcé. « Ça alors … » Que tu glisses, comme pour sous-entendre que tu pourrais comprendre qu’une femme n’ait pas réussi à le supporter. C’est hâtif, après tout, tu ne connais pas les détails, mais puisqu’il s’est permis de critiquer tout à l’heure, tu te dis que tu peux bien glisser quelques remarques de temps à autre, toi aussi. De toute façon, il n’a pas l’air plus atteint que ça par cette séparation qui date, à l’entendre d’au moins un bon millénaire – sans exagération, bien sûr – et il ajoute qu’il n’a personne, non. Sauf toi. « Ne vous habituez pas trop à ma présence, je peux vous assurer qu’elle sera très éphémère. » Ça, c’est toi qui le dis, malheureusement, tu as bien compris, depuis tout à l’heure, que tu n’avais pas à faire au premier vu, et qu’il allait être compliqué de se défaire des griffes de ton geôlier. « Mais puisque vous m’avez répondu avec franchise, je vais en faire de même. Nous ne sommes pas fiancés, parce que je n’ai jamais souhaité me marier … » Stop. Tu veux te marier. Tu aimerais ça, porter une robe blanche et épouser un homme dont tu es réellement amoureuse. Plus exactement, tu n’as pas souhaité te marier avec ton compagnon. C’est différent. « Je n’ai pas d’enfants non plus, parce que je n’en ai pas voulu. » Même chose. Tu n’en as pas voulu … avec cet homme-là. Non mais vraiment, honnête, oui, mais tu oublies beaucoup de détails, et ils font la différence, mine de rien. « Et ça fait presque dix ans ... » Et au début, c’était mignon. Et aujourd’hui, tu t’ennuies à mourir, c’est ce que cri ton attitude, ton regard, le ton que tu as utilisé, et même ta posture alors que tu viens attraper ton verre de vin pour en boire une gorgée à ton tour. « Disons que c’est toujours mieux qu’un mariage arrangé. »