La place est prise (feat. Erik)

Le sable qui se soulevait sur la piste, le sol vibrant à cause des grosses bottes militaires qui avançaient en petite foulée. Les bras allant et venant pour donner du rythme à la cadence. Puis, une dizaine suivait la première, tentant de copier les faits et gestes du premier individu. Celui-ci, le meneur aboyait quelques instructions, encourageant ceux qui ralentissaient, grondant ceux qui se montraient trop indépendant. Il comptait les pas par deux. "Une deux, une deux, une deux..." Répétait-il souvent. Voilà plus d’une heure, presque deux, qu’ils parcouraient la longue piste, fraichement racer sur ce terrain dépourvu de verdure, recouvert de sable pour le bien de leurs exercices.

Ils effectuaient la même ronde, jusqu’à ce que le leader fasse effectuer un détour inattendu à toute son équipe. Un des membres en fut surprit et se retrouva détacher du reste du troupeau. Son capitaine le réprimande, mais non durement. Tout le monde se retrouve par la suite rassembler devant un parcours. Erik prit les devant, guidant ses hommes à travers les fils barbelés, les murs à escalader, les barres à agripper ou sauter par-dessus… Une belle petite promenade. Erik l’avait fait un million de fois, déjà accoutumer à tout cela depuis sa tendre enfance. Mais pour d’autres, même dans l’armée depuis un petit moment, l’effort pouvait être grand. Certains pouvaient croire que l’épreuve durait des heures encore, alors qu’un quart d’heure au moins c’était écouler.

A l’autre bout, Jakobsen les attendait déjà. Bras dans le dos, il regardait toute son unité le rejoindre. La plupart avait réussi sans mal. D’autres était un rien essouffler, mais ils s’en remettraient. Le capitaine toisa chacun d’eux, affichant à la fin un léger sourire, satisfait des prouesses de son équipe.

"Bravo messieurs. J’espère que cela vous a mis en forme. Allez-vous débarbouiller et manger un peu."

C’était l’heure de la pause repas. Quelque soit la profession que, l’on effectue, ce moment devait être apprécier de tous. Même Erik qui n’avait que son devoir et son métier dans le sang, savourait ces petits moments de répits. Comme pour ses hommes, il s’était débarbouillé et enfiler un nouvel uniforme. Il ne comptait pas importuner tout le monde avec son odeur de transpiration.

Son petit exercice fit qu’il arriva vers les derniers. L’immense mess était déjà bondé de monde. Chaque chaise semblait déjà occupée par les soldats qui constituaient la grande armée de la ville. Plateau repas entre les mains, Erik remonta les allées à la recherche d’un endroit où se poser. Ceux qui le regardaient et reconnaissaient, lui envoyèrent un salut et parfois un sourire, qu’Erik rendit quelques fois. Finalement, il trouva une place. Une table pour deux, réserver aux officiers. Il n’était pas habitué à y manger, alors qu’il était capitaine. Il avait une préférence pour déjeuner avec ses hommes.
Même si Jakobsen fils n’était pas doué en relation sociale et parler avec autrui, être en présence de son unité lui plaisait et fit un grand bien. Il s’approcha alors de cette petite table, où attendait déjà quelqu’un une jeune femme. De dos il ne la reconnu pas de suite, mais une fois à quelques mètres, il resta un instant pétrifier quand ce fut le cas. C’était sa sœur Galatéa. Les relations entre la fratrie était compliquée, voilà pourquoi Erik hésita à la rejoindre, mais se donna la volonté de le faire.
Il posa son plateau à côté de celui de sa sœur, avant d’en faire autant avec son postérieur sur le siège.

"Bonjour Galatéa, tu vas bien ?"

La relation dans la fratrie à toujours était très compliquée… Pas seulement à cause de leur caractère assez opposés, mais ce conflit entre eux dépassait la chamaillerie classique entre un frère et une sœur. Croyez le bien qu’Erik en fut le premier navré. Il aurait aimé que les choses soient autrement. Hélas, il devait faire avec, sans compter que ne sachant trop comment s’y prendre avec son prochain, hormis savoir diriger les troupes, ses tentatives se vouaient très souvent à l’échec et même, aggravaient la situation. Pour exemple, il suffisait de voir comment il allait réjouir face à l’hostilité de sa chère cadette.
Sans céder au caprice de Galatéa, le grand frère jeta un regard autour de lui. Ce n’était pas les yeux curieux de certains sous-officiers qui le dérangeaient, amusés ou étonnés par la situation. Ça, il ne pouvait rien y faire, non il avait une autre idée en tête. Après son petit tour du mess, il braqua son regard sur sa jeune sœur, avec un petit sourire comme il n’en avait pas l’habitude.

Je crois que ton rencard t’a poser un lapin alors.

Était-ce de la provocation, ou une blague dire avec innocence ? Erik si peu habitué aux interactions classiques sociétales, en eut bien des soucies à cause de cela. On le voyait si souvent sérieux, si peu plaisantin que quand il tentait de faire rire, on ne le remarquait même pas. Et encore, avec une personne lambda, cela pourrait limite passer, mais avec Galatéa qui pouvait exploser, ayant de longues années de reproches à faire à son ainé… C’était pire que de jouer avec le feu.

Erik cependant ne prit pas place de suite. Il ne retira pas pour autant son plateau, mais semblait attendre un signe approbateur de celle, à qui il attendait l’hospitalité. Ce n’était pas un guerrier barbare, qui prenait ce dont il avait envie en réduisait tout en cendre derrière lui tout de même.

Il n’y a pas vraiment de place en ce moment. Peut-être qu’il s’est assis ailleurs.

Non il ne croyait pas du tout à son histoire, le fils Jacobsen voulait juste désarmer sa sœur, lui retirer tout prétexte pour lui refuser la place. Sûr, s’il pouvait s’assoir ailleurs, il le ferait. Personne ne voudrait manger dans un moment aussi tendu. Erik n’allait pas manger par terre, et puis, il devait refléter une image auprès de ses hommes. Que diraient-ils, eux qui épiaient leurs supérieurs, en voyant leur capitaine courber l’échine devant un lieutenant, sa propre sœur ? Ce serait donner un coup bas à tout le travail qu’Erik avait fait jusque-là, mettre à mal, tout ce pourquoi son père avait œuvré, et fait subir à son fils. Et puis, l’héritier n’usa pas pour le moment de son autorité, il ne cherchait pas à jouer les petits chefs autoritaires, laissant encore le libre choix à sa cadette.

Galatéa ne se retint pas d’exprimer sa rage contre son ainé. On devrait s’attendre à plus de tenue de la part d’un responsable, montrer l’exemple, savoir faire preuve d’un réel sang-froid et ne pas se laisser dominer aussi facilement par ses émotions. Tout cela, Erik l’avait appris auprès de son père. Ne jamais montrer ses sentiments, toujours se maîtriser. Un bon soldat qui s’emportait facilement était un soldat mort, qui provoquait aussi celle de son équipe. Ainsi Erik se forçait de toujours rester calmer et poser. Et donc, il ne répondait jamais avec violence et refusait en plus d’offrir un spectacle lamentable au reste des soldats qui les épiaient.

Juste de quoi manger. Et si cette personne vient, je la lui rendrais après la lui avoir garder.

Erik disait jouer les gentlemen avec un ton sarcastique. Mais en réalité, il savait que sa sœur bluffait et cherchait à la provoquer dans son mensonge, la mettre dos au mur. Il cherchait juste un coin peinard où grignotait, c’était peine perdue alors autant s’amuser un peu en taquinant sa sœur. Il prit donc place et ne se montra pas du tout ébranler par son comportement. Il acquiesça même de la tête concernant sa réplique qu’il devra s’expliquer avec ce mystérieux rendez-vous.

Je t’en prie. Bon appétit chère sœur.

Erik grignotait son entré et un bout de pain, ne faisant plus très attention à sa cadette. La tension était forte, tout le monde ici devait la sentir. Le regard du soldat ne se posa sur rien en particulier. Ses pensées vaquaient, songeant à sa journée et un peu sur son passé sans réel but. Aimerait-il entamer la conversation avec sa sœur ? Il savait que quoi qu’il dise ou fasse, ce sera mal interpréter et qu’elle exploserait. Et là, Jacobsen fils ne voulait passer l’heure du midi à se prendre la tête.
Tous deux passaient si peu de temps ensemble, et quand c’était le cas, l’ambiance était éléctrique. Les réunions de famille furent pires. Imaginez une famille aux allures un peu bourgeois attablés tous ensemble. Une scène digne d’un roman d’Agatha Christie avant que quelqu’un ne vienne à assassiner son voisin de table. Quoi que… Si quelqu’un devait tuer, Erik supposait qu’il s’agirait surtout de son père Thor, qui n’apprécierait pas de voir le désordre à table.

Tu t’es entrainer ce matin aussi.

La question fut plus posée par réflexe. Erik se disait qu’aborder un sujet commun qui tenait à cœur la fratrie, minimiserait les crises. Et cela éviterait que l’un d’eux craque et fasse un scandale, de quoi apaiser les tensions. Cela pouvait marcher ? Ou bien tout n’était que peine perdue ?

Erik avait beau chercher dans le temps, il avait toujours souvenir d’une sœur agressive, du moins pendant les rares moment où il la vue. Cela voulait bien dire que pendant toutes ces années, la jeune femme a dû accumuler de la haine, de la colère à son encontre. Pourquoi lui ? Il n’y était pour rien. Ce fut leur père qui a voulu faire de son unique fils, sa copie conforme. Erik n’avait pas son mot à dire. A peine sevrer qu’il fut arraché à sa mère pour connaitre la dure éducation de son père. Alors, d’un côté il subissait le ton froid autoritaire et même, plein de reproche de son héroïque géniteur, de l’autre le courroux de sa sœur. Il aurait aimé retrouver du soutien auprès de sa mère, du réconfort, mais malgré les tentatives de l’un et l’autre, tous deux étaient comme deux étrangers.

Il était tenté de crier, hurler tout comme elle. Mais ce n’était pas dans sa nature. Il savait se contrôler, ne pas s’apitoyer sur son sort. Erik avait appris à encaisser les coups, qu’ils soient physiques ou moraux. Du moins, ne pas montrer qu’on était touché, aucun signe de faiblesse. Il aurait tout de même eu la naïveté de croire que Galatéa se soit montrer plus douce, après qu’il eut défendu son choix de rejoindre l’armée. La seule fois où Erik défia son père. Mais bon, sa sœur était en colère, beaucoup d’émotions explosif, on ne fait pas attention à tout et encore moins tout retenir. Erik ne s’en ficha point et ne regretta pas son choix.

"Bien." Se contenta t’il de répondre sans rien affiche, d’un air si détendu qu’on croirait qu’il ne remarquait pas la frustration de sa cadette, même à travers cette voix qui semblait le copié. En même temps, il en avait un peu l’habitude aussi.

Voilà que Galatéa souleva une question brûlante avec ce sourire taquin qui aurait put faire croire à une possible complicité dans la fratrie. Mais ce serait se méprendre, car tout n’était que compétition entre eux deux, et ça, la cadette le fit bien comprendre par sa réplique. Erik ne put s’empêcher de lui rendre ce sourire.

"Toi ? Devenue meilleure ? Si tu n'y arrives pas, tu peux tenter la comédie."

Erik s’entrainait depuis enfant au combat et à la stratégie, sans s’arrêter, sans prendre la moindre pause. Quand il était en « vacances », son père le poussait à toujours poursuivre son entrainement. Il voulait que son fils soit au sommet, qu’il égale le prestige de son géniteur, voir le dépasse. Erik ne connaissait donc que cette seule ambition dans la vie, un robot programmé pour une unique tâche. Si sa sœur venait à remporter cette course, il serait évident que le fils en soit ébranlé, qu’on vienne ruiner la seule vie qu’il connaissait ! Ou pas…

Ils étaient de la même famille, du même sang et pourtant, ils étaient tous deux des étrangers. Erik se rendait bien compte qu’il ne savait rien de sa sœur, du moins pas grand-chose. Pour lui, elle eut la chance de vivre libre, ne pas subir l’éducation strict et violente de leur père. Jacobsen fils était comme enfermer dans une prison. Et comme les prisonniers, il fallait respecter des règles strictes, ou au moindre écart, cela pouvait finir bien mal. Le moindre acte de rébellion était sévèrement puni, et la fatigue n’en parlons pas. Au moins, Galatéa bénéficiait de l’amour et de la protection de leur mère. Il aimerait lui crier qu’elle agissait comme une gamine pourrie gâtée, qu’elle ne savait pas la chance qu’elle avait et que ce serait stupide de chercher à plaire ou défier leur géniteur. Mais il se retenait.

Au moins, ces petites provocations composaient la seule complicité si on pouvait dire, le seul lien, entre la fratrie. Erik se disait que c’étaient leur chamaillerie comme s’ils étaient encore des gosses. Néanmoins, il sentait toujours la tension entre eux, et ça, ça le tourmentait. Il aimerait bien tout avouer, dire les quatre vérités à sa cadette, hélas l’éducation sévère de son père qu’on n’arrête pas de mentionner, l’avait transformé en une statue froide. Il était comme une victime de la Medusa, piégé dans un corps de pierre, ne pouvant ni pleurer, ni crier son désespoir, car sinon elle se briserait.

"Bon courage alors, tu y arrivera sans doute juste avant tes quatre-vingts ans." Répondit-il tout simplement avec détachement, tout en tremper un morceau de pain dans son assiette.

Il fallait reconnaitre qu’elle ne manquait pas d’ambition. Elle était déterminée et Erik trouvait que c’était un bon point. Hélas pour elle, son ainé avait bien trop d’avance. Depuis tout petit ou l’entrainait à atteindre le sommet dans la carrière militaire. Et contrairement au lièvre dans la fable, il ne se reposait pas sur ses lauriers. Chaque jour, il cherchait à se perfectionner, faire mieux. Que pouvait-il faire d’autre ? Sa vie était programmée pour cet unique objectif, même si une part en lui, rêvait de liberté.
D’ailleurs, sa sœur savait justement frapper où ça faisait mal. Était-elle sérieuse ? Sans aucun doute. Elle avait compris les conséquences qui pouvaient tomber sur son ainé. Et que lui, désire ou non cette éventualité, que sa sœur le batte, il était clair que leur père ne verrait pas les choses de la même manière. Une honte ? Sans aucun doute. Cherchait-elle par lui à faire du mal à Thor ou à faire souffrir les deux ? Sans doute que oui pour la deuxième éventualité. Et quel que soit le souhait d’Erik, décevoir son père et subir les conséquences serait le pire de ses cauchemars. Car ayant vue jusqu’où il pouvait aller quand son propre fils n’obéissait pas à un ordre simple il n’osa songer ce qu’il ferait en cas d’échec.

Erik aurait pu s’emporter, lancer une remarque acerbe à sa cadette, rappelant qui était la véritable honte de la famille. Mais ce serait un avis qu’il ne partagerait pas, et ce ne serait pas son genre. Erik mordait quand il était dos au mur et sans autre moyen de riposter, ce qui n’était pas le cas. Toujours aussi calme, et évitant le regard de la jeune femme, il poursuivit son repas en répondant tout simplement :

"Nous sommes des soldats. On doit se concentrer sur la mission, et ne pas supposer sur les retomber."

En gros un bon soldat obéissait et ne réfléchissait pas. Une façon de plus de faire remarquer à sa sœur qu’elle déviait de ce qu’un soldat devait faire. Dans un sens, Erik l’aidait en lui rappelant un peu à ses devoirs, comment elle devait agir non ?