Vous cartonnez tellement que vous êtes en papier mâché. (Sasha.)

Tu n’es pas peu fier d’avoir réussi, et surtout, pas peu fier, mon vieux, de ta façon d’avoir fait les choses. Très honnêtement, lorsque tu as accepté de venir en aide à cette jeune femme, même si ça t’arrangeait bien de mettre le nez dans les affaires du plus haut gradé des Stellaa, tu te sentais relativement anxieux, et ça, c’est assez rare pour être noté. Tu as douté, Kelsier, tu comptais faire appel à Aedan, pour te venir en aide, et finalement, cette occasion en or s’est présentée à toi, alors tu l’as saisie. C’était trop beau, comme si, ce jour-là, les planètes avaient décidées de s’aligner pour te laisser franchir le plus facilement du monde le gouffre de tes choix, aussi douteux soient-ils.

Tu avais donc vaincu le Major avec une facilité déconcertante, lorsqu’il s’était relevé, tu en avais profité pour le narguer et il n’avait pas fallu plus de temps que cela pour qu’il se rende compte qu’il aurait tout à gagner à t’accorder une faveur. Ça t’aurait amusé, pourtant, Hodge, de propager la nouvelle de ta victoire éclatante, pour lui coller la honte parmi les soldats des Forces Armées, tu as pourtant sacrifié ce petit plaisir pour obtenir que le nom de Sasha soit ajouté à la suite de tous ceux des soldats des Forces Armées. Ainsi, officiellement, après quelques jours seulement d’attente, la jeune femme fait partie de l’armée dans laquelle tu officies depuis des années, mieux, elle a aussi été ajoutée aux effectifs de ton escouade et oui, tu es satisfait, même si tu sais que Stellaa finira bien par trouver le moyen de te faire payer tout ça.

En attendant, tu es victorieux et tu comptes bien en profiter. Tu avais dit que tu t’en occuperais, mon vieux, alors, contre toute attente et malgré la réputation de fainéant que tu sembles avoir auprès de tes supérieurs, tu as décidé que tu le ferais jusqu’au bout. Hors de question de laisser le soin à une lettre, ou un quelconque messager de transmettre la nouvelle à la jeune femme, tu veux pouvoir récolter tous les lauriers, et constater sa surprise de tes propres yeux puisque, tout de même, finalement, tu as été bien plus vite que prévu à répondre à ses attentes.

C’est en uniforme que tu te présentes à sa porte, tu donnes quelques coups, rapides, mais francs, et tu patientes simplement jusqu’à ce qu’elle vienne t’ouvrir. Tu n’iras pas par quatre chemins, tu le sais, et si d’autres auraient sans doute penser à fêter ça, ou à marquer le coup, en lui ramenant quelque chose … tu n’as visiblement pas eu cette politesse, ou cette délicatesse. En fait, Kelsier, quand elle apparait et que la porte s’ouvre, tout ce que tu fais, c’est te glisser à l’intérieur, en la bousculant légèrement pour t’imposer chez elle. « J’ai à vous parler. » Que tu annonces.

Tu n’as pas de manières. Ou plutôt, tu agis comme si tu n’en avais pas. C’est drôle, Kelsier, cette attitude que tu as parfois, comme si tu voulais systématiquement faire tout l’inverse de ce qu’on t’a appris à faire, ou à ne pas faire, lorsque tu étais enfant. Même quand tes parents ne sont pas là pour te voir, tu continues de leur livrer cette petite bataille, de leur coller la honte, chaque jour de ta vie, par une petite pensée, une petite action qu’ils désapprouveraient fortement tous les deux. Aujourd’hui, c’est cette fameuse phrase de ta mère : « On reste à sa place lorsque l’on est dans la demeure de quelqu’un d’autre, mon garçon. » Alors, te voilà à entrer, sans attendre une autorisation, à même bousculer la jeune femme pour te retrouver dans son espace privé comme si tu étais habitué, comme si tu avais déjà l’autorisation.

Et toi qui avait prévu de dire les choses directement, voilà qu’en quelques sortes, tu te retrouves à tourner autour du pot, avec cette petite phrase, lancée à peine entrer dans la maison de Sasha. Ça pourrait être n’importe quoi, dit comme ça. Un problème. Une bonne nouvelle. Tu pourrais aussi avoir changé d’avis et ne plus vouloir de ta présence mais … quand tu poses les yeux sur elle, tu comprends qu’elle n’avait pas menti, Kelsier, quand elle parlait de t’accorder sa confiance. Elle trépigne, ses yeux brillent, c’est une bonne nouvelle de ta part, qu’elle attend, comme s’il était impossible que tu l’abandonnes, ou que tu échoues. Si seulement tout le monde pouvait te faire confiance à ce point, hein, mon vieux.

Tu soupires, légèrement, tu n’as pas envie de la faire tourner en bourrique, tiens, quand bien même tu viens tout de même d’y penser très fort. « J’ai réussi. » Que tu lâches, simplement, te décalant sur le côté pour te soustraire à son regard. Et tu t’avances dans l’entrée, tu regardes un peu partout, sans penser une seconde que tu es dans la maison d’une jeune femme, que tu viens de débarquer à l’improviste, et qu’il y a peut-être des choses qui traînent et qu’elle ne veut pas que tu voies. « Officiellement, à partir d’aujourd’hui, vous êtes un soldat des Forces Armées. » Tu t’arrêtes, tu te tournes à nouveau pour l’observer, elle, et un sourire un peu moqueur apparait sur ton visage. « C’est vos parents qui vont être enchantés. » Quel emmerdeur tu fais, comme si enquiquiner les tiens n’était pas suffisant, voilà que tu te dis que tu paierais cher pour voir la tête de Maartens, lorsqu’il apprendra que sa jolie fille à braver l’interdit, et qu’elle est entrée dans l’armée sans son autorisation. Les Forces Armées, qui plus est, même pas la milice. « Oh, d’ailleurs … ce sera Caporal, à partir de maintenant pour vous, comme pour tous les autres. » Oui. Il faut bien que tu remettes un peu les points sur les « i », mon vieux, parce qu’il ne faudrait pas qu’elle se mette à t’appeler par ton prénom devant le reste de l’escouade, ils penseraient n’importe quoi. Un passe-droit. Des faveurs. Tu préfères éviter de trop y penser, en réalité. « Du moins … quand nous serons dans le cadre du travail. Le reste du temps, ça m’est égal. » Oui, bon. Tu lui laisses quand même ce droit, contrairement à bien d’autres.

Tu te secoues, légèrement, et puis, tu fronces légèrement les sourcils. « Et bien, vous n’allez tout de même pas rester plantée là, si ? »

Tu ne t’attends pas à des remerciements chaleureux, ou plutôt, Kelsier, ce n’est pas ce que tu veux. Une réaction, rien que ça, ça t’irait, la seule chose qui te gêne, justement, c’est le fait de la voir plantée là, devant toi, à ne rien faire d’autre que te regarder, t’écouter aussi, probablement, mais c’est tout. Un simple merci serait pour toi largement suffisant, vois-tu, alors, après ton petit monologue, tu viens lui rappeler qu’elle est toujours, normalement, en mesure de bouger, parce que, ne pas savoir ce qu’elle pense de tout ça, mon vieux, c’est déstabilisant. Il ne manquerait plus qu’elle ait changé d’avis, non mais tu te rends compte ? Tu aurais fait tout ça pour satisfaire le caprice passager d’une fille à son papa, et dans ce cas de figure, il serait pénible de constater que, si tu avais bien ri, en mettant au sol ton plus haut supérieur, il aurait largement pris sa vengeance s’il s’était rendu compte de ta bêtise.

Le truc, soldat, c’est que si tu n’es pas particulièrement démonstratif, tu as tendance à oublier que le reste du monde n’est pas comme toi. Et quand elle réagit, qu’elle bouge, c’est pour se ruer sur toi, te sauter au cou et t’enlacer, en te serrant fort contre elle. Tu n’es absolument pas à l’aise … et ça se voit. Tu te crispes aussitôt, attendant simplement qu’elle se décroche de toi d’elle-même et quand c’est fait, tu lâches un profond soupire. Sans doute une manière pour toi de lui faire comprendre de ne plus jamais recommencer quelque chose dans ce genre … Quoi qu’il en soit, visiblement, elle n’avait pas changé d’avis et la nouvelle que tu lui apportes est bonne. « Ce n’est pas mon genre. » Que tu lui glisses, tandis qu’elle te remercie, à nouveau, tout en te rappelant qu’elle n’avait pas de doutes à ton sujet. Elle avait choisi de te faire confiance, après tout, elle n’avait pas menti, alors, toi non plus.

Tu la laisses évoquer sa famille … le fait que, probablement, les choses se passeront assez mal lorsque ses parents apprendront son intégration aux Forces Armées mais, ça, mon vieux, pour le moment, même si tu en ris probablement un peu intérieurement, ça ne te concerne pas. « Je ne suis pas contre un verre de … ce que vous avez. » Tu as peut-être le jugement un peu hâtif, mon vieux, mais tu ne vois pas cette toute jeune femme avoir des placards remplis de bouteilles comme Aedan, par exemple. Du coup, tu accepteras ce qu’elle te propose sans faire le difficile parce que, oui, il te reste quelques manières, à toi aussi. « Ça n’a pas été si difficile, finalement … » Tu lui annonces, tout en venant t’appuyer contre un large buffet, les bras croisés contre ton torse. Et là, tu vois, tu as ce petit sourire qui est venu reprendre sa place sur ton visage … « J’ai mis une raclée au Major. » Tu n’étais pas du tout censé raconter ça, Kelsier, tu te souviens ? C’est dans votre accord, avec ledit Major, en échange de ce que tu voulais, et donc, de son intégration à elle, ceci dit, tu doutes qu’elle n’ébruite une telle information, et surtout, tu ne veux pas perdre l’occasion de briller un peu de cette victoire. « Mais pas un mot, ça doit rester un secret. »