revenge ☾ saskya.

_ # Tu ne sais pas bien si le jour de ta naissance a été joyeux, ou non. Tu n’as jamais connu les raisons, seulement les faits, racontés avec brutalité. Personne n’a jamais pris soin de t’expliquer quoi que ce soit, avec des mots qui conviennent à une enfant, Saskya. De but en blanc, on t’a juste dit que tes parents ne voulaient pas de toi, qu’ils ne te cherchaient pas, que tu serais assurément vite remplacée, et que tu n’avais pas la moindre valeur. Comme une preuve, on t’a donné les noms. Ton nom. On t’a expliqué que tu avais un frère, et qu’il suffisait vraisemblablement à contenter tes parents. On t’a assuré que, si tu cherchais à revenir, tu ne causerais que le malheur auprès de ta propre famille, alors … tu as fais le choix de les garder dans une partie de ton cœur, que tu as sceller avant de jeter la clé directement aux oubliettes.

_ # La vérité ? C’est que le jour de ta naissance a été joyeux, parce que tu étais désirée. Tu étais belle comme le jour, dés tes premiers instants, et tu as charmé ton monde durant tes premiers jours de vie. Le bonheur n’a toutefois été que de courte durée, puisque seize jours après ta naissance, un homme est entré dans ta chambre d’enfant pour t’emmener loin de ce que tu aurais dû posséder, et de celle que tu aurais dû être. Victime d’un odieux trafic, tu es passée entre les mains de biens étranges personnes, tu as traversé le tunnel menant à Fortschritt, enroulée dans un vieux drap sale, dans les bras d’une vieille dame t’ayant récupérée, dérobée – à nouveau – aux mains de tes ravisseurs. Elle pensait probablement te sauver, elle n’a fait que t’emmener encore plus loin de ceux de ton sang.

_ # Ton enfance, tu l’as passée dans la rue. Orpheline, c’est ce que l’on disait. Très tôt tu as su, sans jamais chercher à changer ton destin pour autant. Ton seul héritage en provenance des Stellaa résidant dans ta mutation, tu as appris très tôt à t’en servir, pour rester en vie. On dit de toi que tu étais un véritable soleil, à l’orphelinat. Une héroïne pour les plus jeunes, tu étais du genre aimante, douce et protectrice. Farouche combattante, tu ne t’es jamais laissé marcher sur les pieds, et tu as fait en sorte de préserver ceux que tu estimais dans le besoin. C’est ce qui t’as menée droit vers Kanaan.

_# Kanaan était plus âgé que toi de trois années, et pourtant, il t’avait toujours paru bien chétif. Si certains ne cessaient de lui faire remarquer à quel point il pouvait être faible, tu as lu dans les yeux de ce garçon un besoin d’affection, de présence, d’amour, probablement. A travers ses larmes incessantes, tu as été la seule à lire sa douleur et sa peine, alors, tu t’es accrochée à lui, comme à personne d’autre. Il est pour ainsi dire devenu le centre de ton monde, toi qui n’avais jamais eu personne, Kanaan était parvenu à prendre cette place, si importante, si précieuse à ton cœur. Alors tu l’as protégé. Tu t’es dressée devant chacun de ses bourreaux. Tu as pris les coups à sa place, et tu les as rendus au centuple, pour lui.

_# Et puis un jour, l’orphelinat qui te servais de maison à fermer ses portes. Les loyers n’étaient plus payés, ça ne pouvait plus fonctionner. La bâtisse a fini par être rasée, et les pauvres gamins que vous étiez, ont simplement fini à la rue. Certains ont choisi de faire un bout de chemin seuls, et de tenter leur chance dans leur coin, Kanaan est resté près toi, ainsi que trois autres enfants. Tu te sentais capable de prendre la tête de ce petit groupe, et durant des semaines, des mois, même, tu as assuré le rôle de « chef » de cette petite bande. Il a fallu voler pour se nourrir. Il a fallu trouver un endroit où dormir. Il a fallu survivre, et au départ, les choses fonctionnaient, plus ou moins. Jusqu’à un hiver, plus rude que les autres, un hiver où subitement, la nourriture s’est mise à se faire bien trop rare. Tu les voyais se plaindre. Tu voyais les larmes de Kanaan, qui se plaignait d’avoir si mal au ventre, et tu craignais de le perdre, sans pouvoir y faire quoi que ce soit. Du coup, tu as décidé de prendre les choses en main.

_# Il y avait cette boulangerie. La femme qui travaillait là, avait pour habitude de jeter ce qu’elle ne parvenait pas à vendre, mais, puisque tu avais eu l’audace de voler une fois sur son étal, elle refusait catégoriquement que tu puisses prendre quoi que ce soit. Tu n’y étais pas retournée depuis longtemps, parce qu’elle était dangereuse, même si c’était plutôt facile de s’emparer d’un bon butin. Les risques t’avaient paru trop grands, jusqu’à aujourd’hui. Et ces risques, tu avais décidé de les prendre seule, c’est pour ça, que ce jour-là, tu es partie, en laissant Kanaan à la charge des trois autres. Tu t’en souviens, comme si c’était hier, Saskya, quand tu as quitté votre abri de fortune, tu as déposé une vieille couverture sur ses épaules, parce qu’il dormait à poings fermés.

_# Ta mission ? Tu l’as réussie. D’ailleurs, elle fut même plus facile à mener à bien que tu ne l’aurais imaginée. Tu es revenue, ce jour-là, les bras de chargés de pains et de viennoiseries, certes une peu rassies, mais diablement nourrissantes. Il y avait là de quoi les nourrir, tous les quatre, et tu aurais pu en prendre une bonne part, pour reprendre des forces. Malheureusement, ce jour est celui où le reste de ta vie a fini par basculer. Lorsque tu es revenue, il était là, tous les trois, et Kanaan n’était plus là. Tu t’en rappelles bien, tes yeux l’ont cherché, les sanglots sont montés, sans que tu ne comprennes pourquoi, et tu t’es mise à hurler, en relâchant tout ce que tu tenais. L’explication est tombée en quelques minutes … des larmes agaçantes, et incessantes, une mauvaise blague, des chiens, un accident. Ils n’avaient rien pu faire. Et puis, le mot de trop : de toute façon, il n’était qu’un poids.

_# Tu as couru. Tu les as forcés à te montrer, à t’emmener. Quand tu es arrivée, Saskya, il n’y avait plus rien. Du sang. La veste du gamin, complètement déchiquetée, poisseuse elle aussi. Tu as hurlé. Crié. Pleuré. Tu as même supplié, et tu t’es prise à prier. Rien de tout ça n’aura réussi à le ramener à toi, et quand tu as compris qu’il était probablement mort, Saskya, tu as juré, intérieurement, que ça ne resterait pas impuni. C’est ainsi que tu as continué à supporter ces trois enfants pendant des jours … quand l’occasion de leur donner une leçon s’est présenté, face à ce molosse affamé, tu as tenté de les effrayer. « Il a dû avoir peur, lui aussi ! » Que tu leurs as crié, avec un drôle de sourire sur les lèvres. Tu n’aurais pas été jusqu’au bout. D’ailleurs, tu pensais que tu irais, et puis, deux autres sont arrivés, et si tu as essayé de tous les sauver, tu n’y es pas arrivé. Il n’y a eu qu’un survivant, sur les trois enfants qui t’accompagnaient. A partir de là, tu t’es senti vide, coupable, inutile, tu as décidé que tu devais probablement mourir, tu t’es dis que si tes parents n’avaient cherché à te récupérer, il y avait forcément une raison.

_# Le gamin ? Tu l’as abandonné quand il a été en âge de se débrouiller comme un grand. Un beau jour, tu lui as dis qu’il était temps, et que tu ne voulais plus jamais le revoir. Tu lui as fait jurer de ne jamais oublier Kanaan, et puis, tu es partie. Tu n’as jamais eu le courage de mettre un terme à ta vie, et c’est pour ça que tu as fini par t’engager dans l’armée. Tu as pensé que, dehors, au beau milieu des titans, il serait bien plus aisé de disparaitre. Malheureusement pour toi, Saskya, la mutation qui t’habites, et que tu continues de dissimuler semble en avoir décidé autrement. Ta réputation n’est ainsi plus à faire, en tant que « tueuse de titans » ; il parait que tes mouvements, rapides, ta façon de te déplacer, si agile, et la puissance de tes attaques ne sont plus à prouver, et font de toi une vraie machine à tuer. Pour tes collègues, tu es simplement une petite prodige, maitrisant la tridimensionnalité avec brio, toi, évidemment, tu sais que c’est plus compliqué que ça. Mais évidemment, tu espères toujours que cette force, doublée de cet instinct de survie phénoménal, finiront un jour par te lâcher, t’abandonner.