✿ Alyth - La peur ne peut pas se passer de l'espoir et l'espoir de la peur.

Il y a bien des choses à dire sur ta famille, Alyth, mais bien peu sur toi. Les van Allen, c’est l’une des familles de pionniers qui ont suivi Aurelion Gherst quand il a fondé la ville de Widerstand. Si pour beaucoup de gens, c’est terminé et révolu, trop vieux pour avoir de l’importance, chez toi c’est le point d’orgue de toute votre petite clique. La fierté d’avoir toujours été aux côtés des Gherst, d’avoir eu une place importante et renommée. Même si l’on évite de faire remarquer que, lorsque les Gherst ont été évincés, vous êtes restés dans les nobliaux et vous les avez laissés tomber dans l’oubli. Après tout, il faut savoir suivre le courant.

Donc voilà, les van Allen, c’est un nom que tout le monde connait dans les quartiers les plus huppés. Si vous n’avez jamais pris part au gouvernement en tant que tel, vous avez toujours eu un poids certain dans les décisions des gens de bonne naissance et votre puissance a survécu à l’empire des Gherst pour devenir une puissance économie sous l’égide des Stellaa.

Ton père, Alyth, est le 3ème Mark-Emilien de la famille, et a hérité de la puissance familiale dans le textile. Il possède une grande partie (pour ne pas dire toutes) des entreprises de textile de la ville ainsi que leur revente. Ta mère, elle, était une fille née dans la famille de Meroe, bien moins riche et renommé, mais qui possédait les dernières fabriques pas encore sous la coupe de la famille de ton père. Le mariage n’a rien été d’autre qu’une alliance commerciale.

De cette union, il est venu plusieurs choses. La première et pas des moindres, a été Florent van Allen, fils ainé et héritier de ton père. Ton aîné de 7 ans, qui a été accueilli comme un véritable prince au sein de ta famille. Ensuite est venu Constantin, plus jeune de 3 ans, qui, s’il n’héritait pas de la fortune familiale, serait le bras droit et le protecteur de son aîné. On aurait aimé un troisième garçon, dans la famille, mais quand tu es venue au monde, 4 ans après, il s’avéra que tu étais une fille.

Ne mentons pas, Alyth, tu n’as pas eu une enfance pleine d’amour, mais tu n’as manqué de rien. Pendant que tes parents agrandissaient l’empire commercial à votre nom, et formaient tes frères à devenir des personnes d’importances et d’excellences, on te prépara à devenir ce que ta mère avait été avant toi : une épouse parfaite. C’est grâce à la volonté de faire un mariage aussi intéressant financièrement que reluisant que tu pus bénéficier d’une éducation poussée. Lettre, langue, art, musique, un peu de géographie et d’histoire. Et puis les habituels savoir-faire d’une lady : la couture, la cuisine, le ménage, et les enfants.

À 15 ans, on te présenta la famille qui deviendrait ta future belle-famille. Il y avait plusieurs garçons dans la fratrie et tu savais déjà que si tu faisais un mariage réussi ce serait avec l’aîné. Deux ans plus tard, on te fiançait officiellement à Jan, l’aîné des van Haren. Une famille qui n’avait pas autant de renom que la tienne, mais qui avait toujours montré une certaine fidélité aux Gherst. Pour ne pas perdre en puissance, ce fut lui qui pris ton patronyme quand vous vous marièrent 1 an plus tard.

Jan avait 27 ans quand tu en avais 18. C’était un homme accompli, militaire au sein de la Milice, déjà gradé qui attendait une promotion dans l’année à venir. Comme tu y avais été préparée, il ne se montra pas spécialement doux ou amoureux, mais il était beau garçon et tu crus que cela suffirait à faire marcher votre couple. Il s’avéra rapidement qu’il vivait très mal que sa femme fût plus connue que lui et qu’il avait des rêves de grandeur. Mettant cela sur le fait qu’il était un homme, tu lui passas cela, comme ses éclats de colères, et ses moments d’isolement, parce qu’au milieu de tout cela, il s’intéressait tout de même à toi.

Rapidement, les choses se mirent en route. Entendez par là qu’il te prit ta virginité, puis qu’il trouva de la place dans ta famille, avant de tout bonnement prendre ta place à toi. De toute façon, une fille ne servait à rien de plus, donc tes parents furent bien contents de compter leur beau-fils dans leurs affaires. Et malgré tout cela, Alyth, tu menais encore une vie heureuse… ou faisais-tu en sorte que ça le soit.

De tes 20 à 27 ans, les choses continuèrent sur cette lancée. Toi à la maison. Ton époux au travail ou chez tes parents. Quand un repas mondain se tenait, tu apparaissais, rayonnante et pleine de joie de vivre à ses côtés, dans des atours provenant tout droit des usines de ta famille. Tu faisais toujours vive impression, et bientôt, cela aussi te fut interdit, parce que tu ternissais sa propre image à lui. On ne le voyait plus que derrière toi, et bien entendu Jan n’appréciait pas cela.

Les diners étant terminés, tu avais dû trouver pour t’occuper. Ce fut par la musique qui avait toujours été au centre de ta vie. Tu te remis au piano, puis au violon. Quand les voisins t’entendirent à travers les fenêtres ouvertes un été, la rumeur courut et bientôt tu te mis à jouer pour les curieux qui passaient devant chez toi. Un jour, en voyant une des cartes qu’un voisin avait laissées devant chez toi, avec un bouquet de roses, pour te remercier d’alléger ses jours difficiles, ton époux fut pris d’une telle rage que le piano et le violon furent bannis eux aussi. Sa rage se déversa contre toi, et pourtant tu restas droite et forte.

Comme à chaque fois qu’on te dépossédait de quelque chose supplémentaire, tu repris le cours de ta vie en cherchant à faire mieux. Aucun enfant n’était venu alléger tes peines au début de votre vie commune et Jan ne te touchait plus depuis des années. Tu te mis en tête de t’occuper de ceux du quartier. Et cette fois-ci, visiblement fatigué de te voir reprendre le sourire et la douceur, il laissa couler, pour simplement aller se perdre entre les draps d’une autre.

Voilà où tu en étais rendue Alyth quand, à l’aube de tes 27 printemps, la vie décida de te faire à nouveau subir un énième coup du sort. Alors que ton époux était chez tes parents pour une réunion de famille où tu n’étais pas conviée, tu reçus le message d’un de ses supérieurs qui le cherchait. Traversant le quartier le soir venu, pour le prévenir de ça, tu découvris un véritablement massacre dans la maison de ton enfance. Des hommes s’y trouvaient, masqués, les mains ensanglantées. Tes parents étaient sur le sol du salon. Florent s’était recroquevillé contre la cheminée et baignait dans son sang. Constantin avait péri devant lui, l’épée en main, voulant probablement le défendre.

Tu n’avais pas fait deux pas que Jan se jeta sur toi, tremblant et pleurant. Les hommes réagirent aussi vite pour l’attraper et c’est toi qu’il poussa vers eux pour s’enfuir. Il n’alla pourtant pas bien loin et un des agresseurs en finit avec lui rapidement. Toi ? Forcément que ça se retourna contre toi aussi. Les questions qu’on te posa te laissèrent sans voix, puis un rire gras vint donner aux autres de s’amuser avant d’en finir. Et là encore, Alyth, si tu continuas de répéter en boucle que tu ne savais pas ce qu’il s’était passé, tu subis leur violence sans t’effondrer, jusqu’à ce qu’une main gantée arrête les autres. Là, seulement, tu t’effondras en silence.

La suite n’a aucun sens, encore aujourd’hui quelques mois après tout cela. Tu as été amenée au palais et un soldat étrange t’a interrogé pendant des jours pour savoir ce que tu savais des activités de tes parents. Si tu pus parler des usines de tissu, tu fus bien incapable de lui raconter de ce qui l’intéressait vraiment. Après avoir croupi en cellule une semaine, ce fut un autre homme qui vint à ta rencontre et cette fois-ci, Alyth, tu le reconnus aussi vite. Le Roi Rohan te faisait l’honneur de sa présence.

À demi-mot, tu compris que les van Allen avaient fomenté un coup d’État contre lui, et que c’est pour cette raison qu’ils avaient péri de cette façon aussi brutale que silencieuse, dans le cœur de la nuit. L’homme te proposa de t’indemniser pour cette perte, et puisque tu n’avais plus nulle part où aller, mais que tu n’avais pas pris part à ces histoires, tu fus introduite comme suivante au cabinet royal.

On ne peut pas vraiment dire que la cohabitation a été facile, Alyth. Non pas qu’une vie de suivante, loin du luxe de ta précédente existence, te fût difficile, non. Mais côtoyer l’homme qui avait fait assassiner les tiens, croiser son regard bleu chaque jour et supporter autant ses sourires froids que sa bienveillance étrange se mit à tirer vigoureusement sur son énergie.

C’est rendu à ce point d’échecs consécutifs et de malveillances dont tu avais été la victime que tu envisageas sincèrement d’arrêter de te battre. Le choix de la mort ne te semblait pas très difficile par rapport à ta vie et tout ce que tu voulais, Alyth, c’était revoir ton chez-toi une dernière fois. T’enfuyant du palais, tu traversas le Centrum pour finir devant la maison condamnée de tes parents. Et là, figée devant cette bâtisse pleine de souvenirs et d’effroi, tu ne trouvas pas le courage d’en finir. Au final, ce fut l’intervention de gens du quartier, qui te reconnurent et t’associèrent aux van Allen qui avaient perdu la tête, s’étaient entretués et jetés la honte sur le quartier. Ceux qui un jour avaient applaudi ton morceau de piano, ou félicité pour ta tenue en soirée vinrent s’en prendre à toi.

Ce fut des miliciens qui te ramenèrent au palais le lendemain, dans un état lamentable. On t’y soigna, remis sur pied. Et puis, alors que tu allais reprendre cette vie au service de celui qui avait détruit l’entièreté de ta vie, il te fit convoquer. Avec un étrange sourire sur le visage, il te confia une lettre, un stylet aussi beau qu’ancien, puis t’apprit qu’il t’envoyait vivre ailleurs. Loin du Centrum où tu n’étais plus la bienvenue.

Et encore une fois, Alyth, tu ne plias pas. Tu pris tes affaires, le salua lentement et quitta le palais avec ce truc, au fond de tes yeux, qui ne s’était jamais éteint depuis ta naissance… une force de vivre plus fort que n’importe quoi… et n’importe qui.