J'aimerais que quelqu'un m'attende quelque part... (Ana)

Il ne reste que quelques jours, Analynn. Trois, quatre. Pas un de plus, en tout cas. Bientôt, cela fera trente jours que tu as accordé un peu de temps à Léandre, à quelques pas de ce tunnel, alors que tu exprimais ta volonté de rentrer chez toi. Tu n’as évidemment pas trahi ta promesse, tu es restée jusqu’au bout, et malheureusement, c’est fou comme ce mois entier, que tu pensais long, est passé vite finalement. En fait, tu as presque l’impression que c’était hier, cela fait maintenant plus d’un mois en tout que tu as quitté Fortschritt, que tu as fuis l’endroit où tu es née, et que tu vis ici. Et dire que, quand tu as pris l’initiative de traverser ce tunnel, tu t’attendais à te retrouver dans la galère la plus totale … tu te voyais déjà à la rue, et sans le sou, trimer pour obtenir quelque chose et survivre. A la place ? Tu as été emmenée par cet homme, et tu vis dans sa maison. Une belle et grande maison, au sein de laquelle tu ne manques de rien, et dont, de temps à autre, tu parles comme étant ton foyer sans t’en rendre compte.

Quoi qu’il en soit … tu ne partiras pas. Ce n’est pas une décision que tu as prise, cependant, ce n’est pas ton choix, c’est celui qui s’impose à toi. Tu ne peux pas t’en aller, même si tu essayais de toutes tes forces, tu ne parviendrais pas à traverser ce tunnel, et si par miracle tu t’y engages quand même, tu sais parfaitement que tu feras demi-tour avant d’avoir atteint l’autre côté. Tu veux revoir ta famille, pourtant, mais Léandre à pris une place en toi. Une place visiblement assez importante pour ça te dissuades de rentrer, que ça t’en empêches, même, carrément. Tu n’as rien dit, cependant, tu n’as pas laissé échapper un mot de tout ça, quand bien même c’est une certitude depuis de longs jours déjà. Tu sais que lui, est toujours dans le doute, et tu sais quoi ? C’est très bien comme ça. En fait, Analynn, tu crains qu’il ne finisse par changer d’attitude, lorsque tu lui annonceras. C’est plus fort que toi, hein, malgré ce qui existe entre vous, tu ne peux pas t’empêcher de te questionner, et la question qui revient le plus, c’est : est-ce qu’il sera toujours le même homme avec toi, quand il apprendra qu’il est finalement sorti victorieux de tout ça ?

Tu as appris la date présumée de son retour en surprenant une conversation entre deux employés de la maison, et le fait d’avoir une date, pour une fois, t’as donné l’idée de prendre les devants. Tu ne connais Léandre que dans le cadre qu’il t’offre, dans le contexte de sa propre demeure. Bien sûr, vous êtes parfois sortis, tous les deux, mais tu sais qu’il y a toute une partie de sa vie que tu ignores, qui t’es complètement inconnue et c’est ce qui te pousses à quitter la maison, tôt, puis le Centrum, à voyager jusqu’aux Bas-Quartiers de Widerstand pour te fondre dans la foule, lorsque les portes s’ouvrent pour laisser entrer la formation des Forces Armées.

Tu ne peux pas manquer Léandre, Analynn, il est en tête du cortège, bien droit sur sa monture … couvert de sang, la peau noircie de poussière et de crasse, une attitude digne d’un Major, probablement, mais toi, tu notes surtout ce regard, bien loin de ceux que tu lui connais. Tu y lis la préoccupation. La lassitude, aussi. Une certaine forme d’abattement, sans doute ? Quoi qu’il en soit, tu le suis du regard, sans te faire remarquer, avançant tant bien que mal à travers la foule, pour le suivre quelques minutes, avant de forcer un peu plus, de pousser quelques personnes pour écarter les voyeurs et te retrouver tout à l’avant, pratiquement dans les jambes de son cheval. Tu ne dis rien. En fait, Analynn, tu te plantes simplement, à quelques centimètres de son cheval qui avance devant toi, la tête levée, tu l’observes, et tu lui offres juste un sourire. Juste ça, oui.

C’est fou comme dans n’importe quelle situation, cet homme peux te paraitre impressionnant. Il l’est. Vraiment, c’est un fait, Léandre est un homme qui a une prestance, et une présence pour le moins remarquable et si tu l’avais déjà bien remarqué, il est évidemment que la scène qui s’offre à toi te prouves à quel point tu avais raison. Ça te fait du bien de le voir, qui plus est, plus le temps passe, et plus son absence se fait pesante, quand il ne rentre pas plusieurs jours d’affilés, tu te sens inquiète, tu te sens seule, et tu te demandes encore si c’est un manque réel, ou si c’est simplement qu’il est la seule et unique personne que tu vois, et qui est réellement susceptible de te tenir compagnie.

Quoi qu’il en soit, Analynn, tu fais quelques pas pour te sortir un peu de la foule et te démarquer un minimum des badauds qui sont là pour observer la scène, ton regard ne tarde pas à croiser le sien, et tu peux lire la surprise de te trouver là, dans son regard, de même qu’autre chose qui te fais te questionner un peu, simplement parce que tu ne parviens pas à savoir ce que c’est, à le décrypter comme tu le voudrais. De toute façon, Ana, en dehors du fait de le voir, et de combler le vide qu’il a laisser en te laissant à la maison pour sont travail, tu ne sais pas trop ce que tu fiches ici. Tu sens ton potentiel départ approcher, tu cherches vraisemblablement des raisons. Des raisons pourquoi ? Aucune idée. Des raisons de rester. D’autres de fuir. Tu cherches tes réponses à tes trop nombreuses questions, tu cherches à résoudre quelques énigmes.

Il approche de toi, finalement, son cheval vient se placer à quelques centimètres seulement de l’endroit où tu te trouves et il tend la main pour venir te chercher, te hisser sur l’animal avec précaution avant de te retenir, pour finalement se remettre en route. Et oui, ma belle, alors que tu entends quelques murmures, alors que tu te penches un peu pour observer les soldats, à l’arrière, qui observent leur Major d’un drôle d’air, tu te sens comme … privilégiée. Tu sais, un peu comme une enfant qui a eu un jouet tant convoité pour elle toute seule, d’ailleurs, tu as presque envie de crier un « nananère » parfaitement ridicule, quand, tu te rends compte que ce sentiment n’aura été que de courte durée.

Bien sûr, il te tient, Ana … mais quand tu baisses les yeux, pour observer sa façon de le faire, tu te rends compte que c’est différent de la dernière fois, quand il t’a ramenée à la maison. Il est moins proche. Ses mains moins présentes sur toi. Fait rare, quand tu es si proche de lui, ses lèvres ne sont même pas venues te chercher et, devine quelle est la différence, par rapport à d’habitude, Analynn. Oui. C’est bien ça. Eux. Les autres. Ses subordonnés. Ses soldats. Les gens qu’il côtoies au quotidien, des personnes qu’il connait bien, et qui le connaissent bien. Et ça, tu vois, ma grande, ça vient t’emplir d’un sentiment désagréable, quelque chose d’acide, de glacial, et de brûlant à la fois, un cocktail étrange, jamais ressenti jusqu’à présent, celui de la déception, de l’amertume et possiblement de la jalousie, aussi. En fait, tu te retrouves obligée de te retenir de lancer une remarque désagréable, et tu te contentes d’un simple soupire empreint de déception.

« J’avais seulement envie de te voir. » Tu lui glisses, simplement, maintenant ton regard droit devant sans même savoir, d’ailleurs, où il avance comme ça, exactement. « J’ai entendu dire que tu rentrais aujourd’hui, alors … je me suis dis que je pouvais venir à ta rencontre, plutôt que d’attendre que tu rentres tard dans la nuit. » Tu hausses les épaules. C’est fou ça, tu es passée d’une attitude d’enfant enjouée, et probablement un peu hautaine, à celle d’une gamine vexée, et boudeuse. « J’aurais peut-être dû éviter, il y a … beaucoup de monde. » Une façon subtile d’exprimer ta pensée, sur sa façon d’agir avec toi devant les autres. Tu aurais probablement préféré qu’il t’embrasse à pleine bouche devant tout le monde, ça t’aurait rassurée, tu vois, mais là, ça ne fait qu’ajouter à tes doutes, et ce n’est pas ce que tu voulais. « Je peux rentrer, si ça t’arrange. »

Si quelqu’un en doutait encore, oui, voilà la preuve que tu peux être tout à fait insupportable, Analynn. Cependant, pour le coup, tu n’y peux rien, et surtout, tu as probablement des circonstances atténuantes … évidemment, tu es là pour sa présence, pour combler le probable manque qui s’est installé en toi depuis qu’il a quitté sa propre maison pour partir en mission, mais ce n’est pas tout. Tu testes, Ana. C’est mal, peut-être, mais tu en as besoin, sans doute parce que peu à peu, sans que tu ne puisses rien y faire, tu lui accordes ta confiance. Tu ne supporteras pas d’être déçue, ma grande, pour le coup, tu sens tout au fond de toi que ça pourrait causer chez toi de sacrés dégâts, et tu n’as pas envie de ça, forcément. Malheureusement, tu fais face à un échec, et c’est stupide, en un sens, parce que tu peux comprendre que Léandre soit une personne influente, et qu’il veuille préserver sa vie privée, cela dit, tu le prends autrement, probablement parce que le mois se termine, et que tu es complètement à fleur de peau.

Et ça se voit, que quelque chose cloche chez toi, il ne tarde d’ailleurs pas à s’en rendre compte, sans doute parce que tu t’es légèrement crispée sur le dos du cheval, et parce que le ton que tu as pris pour lui répondre n’est pas habituel chez toi. Néanmoins, il ne veut pas que parte, Ana, bien au contraire, il veut te garder près de lui, et même s’il te questionne sur ta possible « colère » ça vient surement un peu te rassurer. En partie, au moins. « Je ne suis pas en colère. » Déçue, oui. En colère, non. « Et non, ça n’a rien à voir. » Comme si tu étais capable de te vexer de si peu, Analynn … de toute façon, il ne te doit rien, quand on y pense. Si votre relation est certes particulière, rien n’est établi entre vous, il pourrait même fréquenter quelqu’un d’autre … ça te ferais mal, tu serais jalouse, et en colère, mais tu n’aurais sans doute rien à dire là-dessus puisque vous ne formez pas réellement un couple. Si ?

Quoi qu’il en soit, une fois au QG, le cheval de Léandre finit par s’arrêter, il quitte la selle en premier pour regagner le sol, et puis, il vient te récupérer, posant ses mains sur ta taille pour te tirer à lui, et brièvement, il te presse contre lui, te glissant quelques mots avant de te relâcher. Et tu vois, tu es plutôt servie, en ce qui concerne le fait de le voir dans son élément, puisque juste après, il se met à interpeller ses hommes, deux en particulier. Le premier passe devant vous deux, et malgré les mots du Major, ne semble pas vouloir perdre son sourire, en fait, il soutien même un instant le regard de Léandre, avant d’attraper une jeune femme rousse par le bras pour l’entraîner avec lui. Le deuxième, lui, soupire lourdement, balançant ses affaires aux pieds de son cheval avec une certaine brutalité avant de grogner un « A vos ordres ! » de bien mauvaise grâce.

En fait, quand Léandre se tourne à nouveau vers toi, tu sens un certain agacement chez lui, et ça te fais une nouvelle te poser la question de savoir si l’idée de venir jusqu’à lui était si bonne que ça … Tu n’as pas le temps d’y réfléchir plus que ça, cela dit, puisque l’homme t’attrapes par la main pour te tirer à sa suite, il pénètre dans le bâtiment à la vitesse de la lumière, monte des escaliers – dans lesquels tu trébuches – et traversent des couloirs pour finalement entrer dans un immense bureau dont il referme la porte un peu brutalement. Là, tu prends le temps de souffler un instant, avant de relever les yeux vers lui. « Est-ce que tout va bien ? » Tu lui demandes, soucieuse, finalement, de ce que tu as pu provoquer, avec ton idée, probablement pas si terrible. « Je suis désolée, je n’aurais peut-être pas du débarquer sans prévenir de cette façon … » Bon, et ça, franchement, ça ajoute encore davantage à ta déception, parce que, tu n’imaginais pas du tout les choses comme ça, quand l’idée à germer dans ton esprit.